« Le FMI doit admettre que les
politiques imposées à la Grèce ont généré une catastrophe »
Le Monde.fr - 24 Juin 2015,
Pour l’économiste américain James K. Galbraith, les créanciers de la
Grèce devraient écouter les propositions d’allègement de la dette plutôt que de
chercher à refinancer des politiques inefficaces
L’économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI), Olivier
Blanchard, a soulevé une question simple: «Quelle doit être la mesure des ajustements auxquels il incombe à la
Grèce de procéder, et quels doivent être les efforts fournis par ses créanciers
publics?»
En mai 2010, le gouvernement grec a procédé à un ajustement budgétaire
s’élevant à 16% de son produit intérieur brut (PIB) sur la période 2010-2013.
La Grèce est ainsi passée d’un déficit budgétaire primaire (hors paiements
d’intérêts de la dette) de plus de 10% du PIB à un solde primaire équilibré
en2014. Dans le même temps, les «ajustements» ont consisté à réduire les
dépenses publiques et le salaire minimum, à effectuer des privatisations au
rabais, à supprimer les conventions collectives et à diminuer sévèrement les
retraites.
Le FMI avait initialement prévu que le PIB réel de la Grèce (ajusté à
l’inflation) subirait une contraction d’environ 5% sur la période 2010-2011,
qu’il se stabiliserait en2012 et qu’il se remettrait ensuite à augmenter. En
réalité, il a chuté de 25%, et n’a jamais pu remonter la pente. De plus, dans
la mesure où le PIB nominal a diminué à partir de 2014, et continue de décliner,
le ratio dette/PIB, censé se stabiliser en2012, continue d’augmenter.
Le FMI et les autres créanciers de la Grèce ont choisi de croire qu’une
importante contraction budgétaire n’engendrerait qu’un effet temporaire sur
l’activité économique, l’emploi et les impôts, et que les coupes effectuées sur
les salaires, les retraites et les emplois publics auraient un effet magique
sur la croissance. Cette hypothèse s’est révélée fausse. L’ajustement effectué
par la Grèce a abouti à une véritable catastrophe économique –mettant en
lumière les prévisions les plus erronées qu’ait jamais formulées le FMI.
Ainsi s’attendrait-on à ce que le FMI cesse de prolonger ce fiasco. Or,
plutôt que d’admettre cette réalité et de s’y adapter, le FMI choisit de
s’attaquer encore davantage aux retraites, en déclarant par la bouche de son
économiste en chef, Olivier Blanchard: «Pourquoi insister sur les retraites?
Avec les salaires, elles représentent environ 75% des dépenses primaires; les
25% restants ont d’ores et déjà été réduits à leur plus simple expression. Les
retraites constituent plus de 16% du PIB, et les transferts du budget vers le
système des retraites sont proches de 10% du PIB. Nous estimons qu’il faut
réduire les dépenses de retraites de 1% du PIB (sur 16%), et qu’il est possible
de le faire tout en protégeant les retraités les plus démunis.»
«Mesures crédibles» Mais, si le paiement des retraites représente
aujourd’hui 16% du PIB grec, c’est précisément parce que l’économie de la Grèce
se trouve contractée de 25% par rapport à 2009. Si ces six années d’austérité
désastreuse n’avaient pas eu lieu, le PIB grec serait peut-être supérieur de
33% à ce qu’il est aujourd’hui, et les retraites ne représenteraient que 12% du
PIB, au lieu des 16% actuels.
M.Blanchard appelle Athènes à proposer des «mesures véritablement
crédibles». Mais le FMI ne devrait-il pas en faire de même? Pour diminuer les
retraites d’un point de pourcentage du PIB, une croissance économique nominale
de seulement 4% par an pendant deux ans se révélerait suffisante – sans coupes
supplémentaires. Pourquoi ne pas proposer des «mesures crédibles» pour
atteindre cet objectif-là?
Cela nous amène à la question de la dette grecque. Comme chacun le sait
au FMI, l’existence d’un surendettement revient à dire qu’à tout moment vos
investissements, vos bénéfices et votre travail acharné peuvent se retrouver
taxés et dérobés afin de nourrir le cadavre de prêteurs passés. Le
surendettement est donc un véritable barrage à la croissance. C’est la raison
pour laquelle toutes les crises de la dette se terminent tôt ou tard en
restructuration ou en défaut de paiement.
Olivier Blanchard est un pionnier de l’économie de la dette publique. Il
sait pertinemment que la dette grecque n’a jamais été tenable à quelque période
que ce soit au cours des six dernières années, pas plus qu’elle ne l’est
aujourd’hui. C’est là un point sur lequel la Grèce et le FMI sont d’accord.
Il se trouve qu’Athènes formule une proposition crédible. Tout d’abord,
laisser le Mécanisme européen de stabilité (MES) effectuer un prêt de
27milliards d’euros sur des échéances étendues, afin de retirer les obligations
grecques que la Banque centrale européenne (BCE) a bêtement acquises en2010.
Deuxièmement, consacrer les rendements de ces obligations au paiement du FMI.
Enfin, faire participer la Grèce au programme d’assouplissement quantitatif de
la BCE, ce qui permettrait au pays de faire son retour sur les marchés.
Les Grecs ont d’ores et déjà procédé à des choix difficiles. C’est
désormais au FMI d’agir, en commençant par admettre que les politiques imposées
pendant six ans ont généré une catastrophe. Les autres créanciers doivent
admettre qu’il est nécessaire de restructurer les dettes grecques – comme le
sait pertinemment le FMI.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
James K. Galbraith est professeur à la Lyndon B. Johnson School of
Public Affairs de l’université du Texas.
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