Discours d'ouverture du Président de la Commission européenne,
Jean-Claude Juncker, à la réunion conjointe des commissions parlementaires TAXE
et ECON
Brussels, 17
September 2015
Messieurs les
Présidents,
Madame la
rapportrice,
Monsieur le
rapporteur,
Mesdames et
messieurs les députés,
Cher Commissaire,
Le Président
Lamassoure a dit qu'il n'est pas d'usage que le Président de la Commission se
présente, je n'ose pas dire dans ce genre d'enceinte, mais je trouve ça tout à
fait normal. J'avais dit que la lutte contre l'évasion fiscale et contre la
fraude fiscale figuraient parmi les priorités de la Commission et parmi les
priorités de son Président et donc il est normal que le Président, ensemble
avec le Commissaire à la fiscalité, se présentent devant vous lorsque des
débats importants ont lieu au Parlement.
La Commission que
j'ai l'honneur de présider a placé parmi ses dix premières priorités la lutte
contre l'évasion fiscale et la lutte contre la fraude fiscale parce que nous
voulons plus d'équité et de transparence fiscales en Europe. Nous le voulons
parce que nous pensons que le marché intérieur est incomplet, lorsque que le
paysage fiscal reste partialisé, composé d'éléments contradictoires,
antinomiques, et donc il faudra que nous complétions le marché intérieur là où
il le faut, et notamment en matière de fiscalité. Parlant de fiscalité,
notamment en matière de fiscalité d'entreprises, nous voulons avancer d'un pas
ferme vers plus de coordination et d'harmonisation fiscales. C'est d'une
certaine façon un test de notre volonté de vouloir vivre ensemble dans des
conditions agréées.
Je ne découvre pas
le sujet fiscal en devenant Président de la Commission européenne. Et ceux qui
rigolent déjà, notamment les deux Verts là que j'ai devant moi, savent de quoi
je parle puisque j'ai eu l'insigne honneur d'en débattre avec eux dans des
fonctions antérieures. Je ne découvre pas le sujet fiscal, parce que lorsque
j'exerçais des fonctions dans le pays que je connais le mieux, j'avais à
traiter de ces questions. Je vous rappelle mais vous le savez sans doute, que
lorsque j'ai présidé le Conseil ECOFIN en 1991, il y a 24 années, jeune
ministre des finances, j'ai réussi à convaincre tous les Etats membres
d'harmoniser la TVA et les accises en Europe, contre de très fortes volontés
inspirées d'une ambition contraire. Convaincre en 1991 les Britanniques qui
pensaient que
l'Europe n'a pas à s'occuper de fiscalité puisque soumise à la règle de
l'unanimité, fut un effort que je n'oublierai jamais.
Présidant le
Conseil ECOFIN en 1997, nous avons mis en place le code de bonne conduite
contre la concurrence fiscale déloyale des entreprises et nous avons ouvert le
chemin vers l'harmonisation de la fiscalité de l'épargne, chose qui fut
réalisée par la suite. Je vous rappellerai, mais là encore vous le savez, que
présidant l'Union européenne et le Conseil ECOFIN et le Conseil européen en
2005, j'avais proposé la mise en place d'un Comité fiscal, ayant le même rang
que le Comité économique et financier, parce que j'avais considéré à l'époque,
et je le considère toujours, que la question fiscale revêt la même importance
que les questions monétaires et aux questions économiques d'une façon plus
générale.
Comme Président du
Conseil en 2005, je n'avais pas connu de succès. Je ne me rappelle plus les
gouvernements qui étaient pour, je ne me rappelle plus les gouvernements qui
étaient contre, je ne me rappelle pas de l'appui massif de quiconque au
Parlement européen pour mettre en place ce Comité fiscal. Donc en 2005, je
n'avais pas de succès avec cette idée, ce qui fit que j'ai réintroduit cette
idée du comité fiscal dans les travaux préparatoires nous conduisant au Traité
de Lisbonne.
Je ne me rappelle
plus qui était pour ni qui était contre. Mais cela ne s'est pas fait. Je redis
aujourd'hui ma conviction que si on veut accorder à la question fiscale
européenne la même importance qu'aux autres questions, il faudra qu'à tout prix
nous revenions à cette idée de mettre en place un Comité fiscal qui suivrait
les travaux du groupe sur le code de bonne conduite pour inspirer les travaux
des ministres des finances par la suite. Vous retiendrez, je n'en doute pas,
cette idée qui est de bon sens.
Pendant la
campagne électorale, et au moment de présenter les orientations politiques, les
miennes et puis plus tard celles de la Commission, l'accent fut toujours mis
sur la très nécessaire lutte contre l'évasion et la fraude fiscales. Et nous
avions promis au Parlement en novembre de l'année passée que nous accorderions
toute la priorité nécessaire aux stratégies d'optimisation fiscale des
entreprises multinationales.
La Commission a
introduit un certain nombre de procédures contre certains Etats membres dont
celui que je connais le mieux, et je crois savoir, sans le savoir, que les
procédures en cours suivent leurs développements propres sous l'égide experte
de la Commissaire Vestager, qui a parfaitement pris cela en main et qui dispose
d'une très large autonomie. Elle n'a pas besoin ni de mes instructions, ni de
mes injonctions, ni de mes conseils, parce qu'elle sait de quelle question il
s'agit. Je ne me mêle pas de ces procédures. Et je n'ai pas à m'en mêler
puisque que la Commissaire à la concurrence dispose d'une très large autonomie.
J'ai toujours considéré que je ne n'avais pas me mêler de cette question,
puisque le pays dont je suis originaire fait partie des instructions en cours,
je n'avais pas à m'en mêler et que j'avais une obligation d'abstention pour des
raisons déontologiques évidentes. Mais sur le reste et pour le reste, j'ai une
obligation d'action. Nous avons, le Commissaire Moscovici et moi-même, une
obligation d'action. Abstention d'une part, action d'autre part.
Ne doutez pas de
notre volonté de lutter contre l´évasion fiscale. Nous nous sommes engagés à
avancer sur la coordination fiscale et sur l´harmonisation fiscale; à
promouvoir d´abord, l´échange automatique d´informations en matière de
décisions anticipées, des rescrits fiscaux, des tax rulings. Le
Commissaire Moscovici a présenté un projet de directive dont nous voudrions
qu'il soit rapidement adopté. Nous pensons que l´intention de la présidence
luxembourgeoise est de faire en sorte que des décisions puissent être prises au
mois d´octobre.
Tax rulings,
décisions anticipées, qui ne sont pas mauvaises en elles-mêmes parce qu´elles
donnent au monde de l´entreprise une plage de prévisibilité dont les acteurs
économiques, surtout ceux qui investissent, ont besoin. Tax rulings, rescrits
fiscaux dont nous avons vu les erreurs de parcours, les méfaits qu'un monde peu
contrôlé, qu'un espace insuffisamment encadré peut entraîner. Et nous voudrions
donc que nous puissions mettre un terme à ce phénomène. J'avais développé ce
point devant vous, j'avais développé cet élément à la réunion du G20 à Brisbane
en novembre. Je dois dire que l'accueil des autres ne fut pas d'un enthousiasme
époustouflant mais il faut savoir que là encore nous avons besoin de règles
plus globales que seulement européennes. Mais si nous n'arrivons pas à
convaincre nos partenaires du G20 de ce faire, nous devons le faire nous-mêmes,
à notre niveau et pour notre espace.
Nous avions dit
que nous nous attacherions à la tâche qui consiste à faire en sorte qu'en
matière de fiscalité des entreprises, nous puissions nous doter de règles
communes en matière d'assiette d'imposition. Nous y travaillons avec
engagement.
Nous pensons que
les exigences de croissance, la nécessité d'avoir plus d'investissements en
Europe, vu la nécessité de consacrer une attention particulière à l'évolution
de l'emploi en Europe, nous pensons que la fiscalité des entreprises ne doit
pas être un frein à cet effort global de croissance et d'emploi. Et donc il
faudra comme je le disais sur ce point compléter, parachever le marché
intérieur.
Le système qui est
le nôtre aujourd'hui est un système qui est devenu illisible et injuste. Il y a
ceux qui perdent, parce que injustice et illisibilité, il y a ceux qui gagnent,
parce que possibilité de se retrancher derrière des règles nationales
divergentes qui font du paysage fiscal européen un monde où l'obscurité fait
loi et par conséquent il faudra que nous encadrions mieux les comportements des
grandes entreprises transnationales qui, avouons-le, sont douées d'un talent redoutable
d'ingénierie fiscale et qui sont passées maîtres dans l'art de réduire leur
ardoise fiscale. Puisqu'ils exploitent la divergence des normes fiscales
nationales, puisqu'ils exploitent des pratiques fiscales nationales,
administratives, divergentes, nous avons pour devoir de mettre de l'ordre dans
ce monde désordonné parce que l'illisibilité et l'injustice entraînent des
conséquences coûteuses et injustes; un système obsolète qu'il faudra que nous
modernisions en nous dotant d'outils nouveaux pour lutter contre les phénomènes
dont je suis en train de parler. Puisque le monde est devenu global, l'économie
mondiale est devenue numérique, elle est devenue mobile et donc il faudra que
nous agissions en insistant d'abord sur le fait que les Etats membres et l'Union
européenne développent entre eux une coopération beaucoup plus étroite que
celle que nous observons à l'heure où nous sommes, surtout que nous observons –
et c'est bon signe – un mouvement mondial de lutte contre l'optimisation
fiscale et de lutte contre les fraudes fiscales. A cet égard, nous soutenons
l'action de l'OCDE sur l'érosion de la base d'imposition et de transfert des
bénéfices dont le mérite me semble-t-il est indéniable. Mais il faudra que les
Etats membres de l'Union européenne développent entre eux une approche
communautaire pour appliquer le projet dit 'BEPS' de l'OCDE. Nous faisons tous
partie d'un même marché intérieur et donc sur ce point il faudra que nous
dégagions les éléments qui nous permettrons de définir une approche européenne
qui tienne la route et qui permette la remise à niveau de nos systèmes
d'imposition des sociétés.
L'harmonisation
fiscale ne veut pas dire mettre un terme à une saine concurrence fiscale.
Vouloir établir des règles communes claires, simples et efficaces, voilà
l'objectif qui doit être le nôtre pour que nous puissions mettre un terme à la
concurrence fiscale déloyale. Pour ce faire la Commission, et notamment Pierre,
a présenté des propositions qui se fondent, qui prennent appui sur un certain
nombre de principes élémentaires, dont le premier est que les bénéfices doivent
être imposés dans les pays où les bénéfices sont générés. Et le deuxième
principe directeur consiste à ne pas perdre de vue qu'il faudra que les
politiques fiscales soutiennent nos politiques pour l'emploi et pour les
investissements en Europe. Et la simplification des systèmes, la réduction des
coûts de conformité et la mise en place d'un système qui garantisse la
stabilité juridique sont essentielles, sinon des préconditions, à permettre à
l'économie européenne de prendre un envol qui sera pérenne.
Il est essentiel
que nous arrivions rapidement à un accord sur l'échange automatique
d'informations en matière de décisions fiscales anticipées qui ont un impact
transfrontalier. Il est essentiel que nous nous mettions d'accord sur les
grands axes du plan d'action sur la fiscalité que le Commissaire Moscovici a
présenté le 17 juin dernier. C'est un plan qui définit cinq grands domaines
d'action pour rendre la fiscalité des entreprises plus juste, plus efficace et
plus transparente. Pierre vous expliquera le menu détail de ces ambitions qui
vont loin. Je n'ai pas eu le temps de traiter de ces sujets sauf pour dire
qu'il faudra que nous accélérions les travaux en matière d'assiette commune consolidée
pour l'impôt des sociétés. Le Commissaire Moscovici a présenté un plan en
plusieurs étapes qu'il définira devant vous. A terme, la consolidation est un
objectif qui doit rester, c'est ce à quoi nous travaillons. Mais le réalisme
veut qu'entre-temps nous arrivions à nous mettre d'accord sur des principes
communs pour que le désordre cesse.
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